Témoignage ...

Témoignage
31/05/2019

Nous avons envie de partager avec vous un témoignage que nous vous livrons tel qu’il nous est arrivé. Merci à Joëlle !

"Mon Duo Day 2019

La nuit précédant le jour J, je dors mal. L’insomnie fait partie des symptômes de mon handicap. De mes handicaps, devrais-je écrire, toutes ces petites choses qui font qu’un beau jour le métier d’une vie appartient au passé. Dans l’obscurité, je retrace en pensée le trajet à parcourir. Ponctuelle de nature, je continue d’arriver en avance aux rendez-vous. Sauf qu’à présent, je dois anticiper et répertorier tout ce qui pourrait ralentir mon pas. Avec le gentil opérateur de la plateforme Duo Day installée dans le Sud-Ouest, nous avons choisi un lieu facilement accessible en transport en commun depuis mon domicile parisien.

S’inscrire au Duo Day, c’est simple et rapide, mais conjuguer la situation géographique, la structure et l’emploi l’est moins et peut-être est-ce là une des raisons qui font que toutes les offres de Duo ne se concrétisent pas. Quand j’ai pris conscience que le handicap faisait désormais partie de mon existence, j’ai choisi mon lieu de vie en conséquence, dans un quartier où règne la diversité. En bas de chez moi, les noms sur les boîtes aux lettres racontent l’histoire de France et celle du monde. Dans la rue, la liberté de croire ou pas et de le montrer ou non témoigne d’une laïcité qui m’est précieuse et le nombre des handicapés visibles me laisse penser que je suis loin d’être isolée. En effet, 82 % des handicaps sont invisibles ou presque, mais bien réels, méconnus et mal compris. C’est une des raisons qui m’ont convaincue de participer au Duo Day.

La journée commence mal. Je passe sur les trottinettes jetées en travers des trottoirs, les cyclistes qui carillonnent pour que l’on s’écarte de leur chemin, les automobilistes qui klaxonnent quand on traverse, dans l’espoir de nous voir accélérer le pas. Le feraient-ils face à une personne en fauteuil, un aveugle avec son chien, une personne âgée munie d’une canne ? Il n’est pas encore 8 heures, ils sont déjà impatients et prennent des risques. Et s’ils provoquent une chute, une attaque de panique, un malaise ? Et si j’étais sourde ? Soixante-sept millions de Français, douze millions d’handicapés… Les valides vont devoir changer eux aussi, parce que nos handicaps ne vont pas disparaître en un claquement de doigts. J’ai dû renoncer à ma vie d’avant, me remettre en question et m’adapter ; l’autre doit aussi faire une partie du chemin car nous avons à vivre et travailler ensemble. Je laisse passer un tramway bondé dans l’espoir que le suivant me soit plus favorable. Hélas, je dois me résoudre à me jeter dans la mêlée. Je sors ma carte mobilité inclusion et mon sourire pour faire valoir mon droit à bénéficier d’une place assise, mais, après la bousculade en règle pour entrer dans la rame, je suis rabrouée du geste et de la voix par une jeune femme. Dans l’indifférence générale, ou pire. Si encore les gens détournaient le regard ou faisaient semblant de ne rien voir. Même pas, la plupart vous détaillent avec insistance de la tête aux pieds, cherchant ce qui cloche, comme si vous étiez une usurpatrice, comme si les médecins et les experts successifs qui ont décidé que vous étiez en droit de bénéficier d’une place prioritaire, d’un coupe-file, étaient des incompétents dupés par des profiteurs. Depuis sept mois que j’ai obtenu la reconnaissance de mon handicap, j’accumule les anecdotes édifiantes à ce sujet. C’est un étudiant étranger qui vient à mon secours, faisant se lever une de ses compatriotes. Échanger avec eux est un réconfort.

J’arrive rassérénée – et en avance –, à mon rendez-vous. Le premier contact est souriant. Prise pour une stagiaire, quand je corrige l’erreur le comportement ne change pas et je suis guidée jusqu’à l’accueil. Toute la journée sera à cette image, avec des contacts simples et naturels. Avec mon Duo, nous faisons d’abord connaissance en relatant nos parcours respectifs. Très vite, lors du premier déplacement dans les couloirs, je l’alerte sur ma difficulté à suivre son rythme. Pas question de « prendre sur soi » et endurer en silence. Pour être bénéfique, cette journée doit se dérouler sous le signe de la transparence, c’est mon opinion et elle semble partagée. S’il me demande mon CV, mon Duo ne fait pas miroiter la perspective d’un emploi et je lui en suis reconnaissante.

Je lis un peu partout sur ce réseau qu’il faudrait que le Duo Day se concrétise par des embauches. C’est mettre beaucoup de pression sur les uns et les autres. La structure accueillante devrait donc recruter la personne handicapée simplement parce qu’elle l’est, sans droit de regard sur ses compétences ? Et il faudrait que l’intéressée se prépare à cette journée comme si elle se rendait à un entretien d’embauche ? Et accepte obligatoirement l’emploi proposé, même si le poste, le lieu et les personnes rencontrées ne lui conviennent pas ? Il me semble que cela dénaturerait l’idée première. Je lis aussi que cette journée est une opération de communication, comme si c’était mal. Tout le monde y trouve son intérêt. Les politiciens, les structures accueillantes, et les handicapés. Un jour par an, il ne faut pas laisser passer cette opportunité de faire prendre conscience des préjugés, de marquer les esprits, d’être soi-même dans notre relation avec des personnes volontaires qui seront ensuite nos meilleurs communicants. Je lis encore que chaque jour devrait être l’occasion d’un Duo Day. Il me semble qu’il faut conserver à l’événement son caractère annuel au niveau national et international, pour une plus grande visibilité. Mais rien n’interdit les initiatives isolées tout au long de l’année et ceux qui sont enthousiastes aujourd’hui sauront très certainement les mettre en œuvre demain. En revanche, comment toucher les réfractaires à l’emploi des handicapés, ceux qui préfèrent payer parce que c’est plus simple, pratique, confortable, etc. que de se remettre en question ?

Mon Duo est impliqué dans l’opération, cela se sent, il est ouvert et partageur, ce qui me permet de multiplier les échanges et rencontrer plusieurs salariés de la FEHAP, d’assister à une séance d’un groupe de travail ainsi qu’à une réunion hors les murs. Cette dernière activité, totalement inattendue, est l’occasion d’évoquer mes difficultés de déplacement, d’expliquer pourquoi certains actes de la vie courante comme traverser une place, longer les quais du métro ou emprunter un escalator sont de vrais défis quand la perception de l’espace est faussée. Pour ceux qui m’entourent et m’aident, l’invisible devient réel.

Ce Duo Day est pour moi une réussite et je suis très touchée par le naturel et la simplicité des échanges. C’est une journée enrichissante, réconfortante, et je remercie tous ceux qui, de près ou de loin, ont permis sa réalisation.”

Joëlle